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Vision & Culture

De Dieter Rams à Jony Ive : l'évolution du 'bon design'

Un téléphone de 1958 qui ressemble étrangement à l'iPhone

En 1958, Dieter Rams conçoit pour Braun le T3, un combiné téléphonique d'une simplicité radicale qui semble anticiper l'esthétique des objets connectés contemporains avec une précision troublante. Ce petit boîtier rectangulaire aux courbes douces, dépouillé de tout ornement superflu, établit un langage formel qui résonnera cinquante ans plus tard dans les laboratoires de Cupertino où Jony Ive façonne l'iPhone original. Cette convergence esthétique transcende la simple coïncidence pour révéler une filiation intellectuelle profonde, une transmission de principes fondamentaux qui traversent les décennies tout en se métamorphosant au contact des nouvelles réalités technologiques et culturelles.

Entre ces deux objets iconiques s'étend un demi-siècle de mutations profondes dans notre rapport aux objets, aux interfaces et à la technologie elle-même. La philosophie du "bon design" initiée par Rams continue d'irriguer la pensée créative contemporaine, mais ses manifestations concrètes se sont considérablement complexifiées face aux défis du numérique, de la globalisation et de l'urgence environnementale qui redéfinissent les paramètres de ce qui constitue véritablement un design vertueux.

Les dix commandements du design selon Rams : genèse d'une doctrine universelle

L'origine d'une réflexion fondatrice dans l'Allemagne d'après-guerre

Au début des années 1970, Dieter Rams, alors directeur du design chez Braun, traverse une période de doute profond qui le pousse à interroger la légitimité et la valeur de sa production créative dans un monde de plus en plus saturé d'objets. Cette introspection personnelle, nourrie par l'héritage du Bauhaus et la philosophie fonctionnaliste de l'école d'Ulm où il a étudié, débouche sur la formulation de dix principes qui deviendront rapidement la référence absolue du design industriel moderne. Ces principes ne naissent pas dans un vide conceptuel mais émergent d'un contexte historique spécifique : l'Allemagne de la reconstruction cherche à redéfinir son identité culturelle à travers une esthétique épurée qui rompt radicalement avec les excès ornementaux du passé.

La cristallisation de ces principes représente bien plus qu'un simple exercice théorique ; elle constitue une tentative de codifier une éthique du design qui place la responsabilité sociale et environnementale au cœur de la pratique créative. Chaque principe – de l'innovation à la réduction minimaliste du "moins mais mieux" – reflète une vision holistique où l'objet n'existe pas isolément mais s'inscrit dans un écosystème complexe de besoins humains, de contraintes techniques et d'impératifs moraux qui dépassent largement les considérations purement esthétiques ou commerciales.

Une grille de lecture confrontée aux réalités contemporaines

L'universalité apparente des principes de Rams masque des tensions profondes quand on tente de les appliquer aux réalités du design numérique et interactif du XXIe siècle. Le principe de discrétion, parfaitement incarné dans le grille-pain ET1 de 1961 dont la forme rectangulaire blanche s'efface dans l'environnement domestique, devient problématique quand on l'applique aux interfaces digitales qui doivent simultanément attirer l'attention, guider l'utilisateur et créer de l'engagement émotionnel. Cette contradiction apparente révèle que les principes de Rams ne sont pas des règles rigides mais plutôt des vecteurs de réflexion qui nécessitent une interprétation contextuelle permanente, une adaptation créative qui préserve l'esprit tout en réinventant la lettre.

La question de l'honnêteté du design, sixième principe fondamental, illustre parfaitement cette nécessaire évolution herméneutique face aux nouvelles réalités technologiques. Quand Rams conçoit la radio-réveil ABR 21 en 1978, chaque élément visible correspond à une fonction mécanique réelle : les boutons sont des boutons, les grilles cachent des haut-parleurs, la forme suit strictement la fonction interne. Aujourd'hui, cette transparence littérale devient impossible voire contre-productive dans un monde où les interfaces tactiles simulent des interactions physiques, où les assistants vocaux créent l'illusion d'une présence et où la réalité augmentée superpose des couches d'information virtuelle au monde tangible.

L'ère Jony Ive : la transmutation numérique des principes fondateurs

De l'objet physique à l'expérience totale

L'arrivée de Jonathan Ive chez Apple en 1992, suivie du retour de Steve Jobs en 1997, marque le début d'une réinterprétation radicale des principes de Rams adaptée aux défis spécifiques de l'informatique personnelle et de la mobilité numérique. Ive, collectionneur passionné des créations Braun et admirateur déclaré de Rams, ne se contente pas d'une transposition littérale mais opère une véritable transmutation conceptuelle qui préserve l'essence philosophique tout en révolutionnant les modalités d'application. L'iMac G3 de 1998, avec sa coque translucide colorée qui expose partiellement les composants internes, semble violer le principe de discrétion mais respecte profondément l'idée d'honnêteté matérielle et de simplicité d'usage qui constituent le cœur de la pensée ramsienne.

Cette évolution ne représente pas une trahison mais plutôt une actualisation nécessaire face à la complexité exponentielle des objets numériques qui doivent gérer des milliers de fonctions tout en maintenant une apparence de simplicité absolue. L'iPhone, lancé en 2007, cristallise cette nouvelle approche en dissimulant une complexité technologique vertigineuse derrière une interface d'une élégance minimaliste qui rend l'utilisation intuitive pour des milliards d'utilisateurs aux compétences techniques très variables. La stratégie d'Ive consiste à créer une hiérarchisation impitoyable de l'information et des fonctions, utilisant le design comme un filtre qui ne révèle que ce qui est pertinent à chaque instant, transformant ainsi la simplicité apparente en une sophistication cachée d'une densité extraordinaire.

Les nouveaux paramètres imposés par l'écosystème digital

Le passage du design d'objets isolés à la conception d'écosystèmes interconnectés impose une redéfinition fondamentale de ce que signifie créer du "bon design" dans un monde hyperconnecté où chaque dispositif dialogue avec des dizaines d'autres. Apple développe sous la direction d'Ive une cohérence systémique qui transcende les produits individuels pour créer une expérience unifiée où l'iPhone, l'iPad, le Mac et l'Apple Watch partagent non seulement un langage visuel mais aussi des paradigmes d'interaction qui facilitent la transition fluide entre les différents contextes d'usage. Cette approche holistique représente une extension logique du principe d'utilité de Rams, mais appliqué à une échelle et une complexité qu'il n'aurait pu anticiper dans les années 1970.

Les chiffres témoignent de l'impact phénoménal de cette approche : entre 2007 et 2019, Apple écoule plus de 2,2 milliards d'iPhones, touchant une population globale d'une diversité culturelle et socio-économique sans précédent dans l'histoire du design industriel. Cette démocratisation massive du design de haute qualité réalise paradoxalement l'idéal social-démocrate qui sous-tendait la philosophie de Rams, même si les moyens et les échelles diffèrent radicalement de ce qu'il avait imaginé avec ses radios et ses platines vinyles destinées à la classe moyenne allemande.

La tension dialectique entre principes intemporels et pratiques contemporaines

Le paradoxe de l'innovation perpétuelle contre la durabilité

La contradiction la plus flagrante entre l'héritage de Rams et les pratiques actuelles du design technologique réside dans l'opposition apparemment irréconciliable entre les principes de durabilité et de respect environnemental d'une part, et la logique d'innovation permanente qui caractérise l'industrie numérique d'autre part. Apple lance rituellement un nouvel iPhone chaque septembre, créant artificiellement l'obsolescence des modèles précédents parfaitement fonctionnels, tandis que les batteries non remplaçables et les coûts prohibitifs de réparation encouragent le remplacement plutôt que la maintenance. Cette réalité économique brutale semble trahir frontalement les principes 7 et 9 de Rams qui prônent une durabilité transgénérationnelle et un respect scrupuleux des ressources naturelles.

Pourtant, cette apparente contradiction révèle une complexité plus subtile quand on examine les tentatives contemporaines de réconciliation entre innovation et durabilité à travers des initiatives comme le Fairphone, qui depuis 2013 propose des smartphones modulaires et réparables, ou les programmes de reprise et de recyclage développés par les grands constructeurs. Le défi consiste à repenser la durabilité non plus seulement en termes de longévité physique des objets, mais aussi en termes de cycles de vie optimisés, de réutilisation des matériaux et de conception modulaire qui permet l'évolution sans le remplacement total. Cette nouvelle conception de la durabilité, plus systémique et moins linéaire, représente peut-être l'adaptation la plus nécessaire et la plus difficile des principes de Rams à notre époque.

L'honnêteté revisitée à l'ère de la simulation et de la virtualisation

Le sixième principe de Rams, celui de l'honnêteté du design, subit une transformation radicale dans un contexte où la majorité des interactions se déroulent à travers des interfaces virtuelles qui simulent des comportements physiques sans posséder de réalité matérielle correspondante. L'iPhone 15 Pro introduit un "Action Button" qui n'est pas véritablement un bouton mais un capteur haptique sophistiqué qui reproduit la sensation tactile d'un clic mécanique à travers des vibrations calibrées avec une précision microscopique. Cette illusion sensorielle pose une question philosophique fondamentale : est-ce une forme de malhonnêteté design ou plutôt une nouvelle modalité d'honnêteté adaptée aux possibilités et contraintes spécifiques des technologies contemporaines ?

La réponse nécessite de dépasser une interprétation littérale pour embrasser une compréhension plus nuancée où l'honnêteté ne concerne plus seulement la transparence matérielle mais aussi la clarté des intentions, la prévisibilité des comportements et la cohérence des feedbacks sensoriels. Dans cette perspective élargie, un bouton virtuel qui se comporte de manière cohérente et prévisible peut être considéré comme plus "honnête" qu'un mécanisme physique complexe dont le fonctionnement reste opaque pour l'utilisateur moyen. Cette évolution conceptuelle ne dilue pas le principe de Rams mais l'enrichit en reconnaissant que l'honnêteté peut prendre des formes multiples selon les contextes technologiques et culturels.

Les héritiers contemporains : au-delà du minimalisme orthodoxe

L'émergence du design émotionnel comme complément nécessaire

Les nouveaux acteurs du design contemporain, libérés de l'orthodoxie minimaliste stricte, explorent des territoires créatifs qui auraient probablement déconcerté Rams tout en respectant paradoxalement l'esprit profond de ses principes. Teenage Engineering, studio suédois fondé en 2005, crée avec l'OP-1 un synthétiseur qui combine une rigueur fonctionnelle exemplaire avec une dimension ludique et émotionnelle assumée à travers des boutons colorés, des animations délicieuses et une interface qui transforme la création musicale en jeu créatif. Cette approche reconnaît que le plaisir d'usage constitue une fonction à part entière, que l'émotion positive générée par l'interaction avec un objet participe directement de son utilité globale et de sa capacité à enrichir l'expérience humaine.

Nothing, la marque fondée par Carl Pei en 2020, adopte une stratégie diamétralement opposée mais tout aussi révélatrice en exposant délibérément les composants internes de ses produits à travers des coques transparentes qui transforment la technologie cachée en élément esthétique central. Cette transparence littérale inverse la logique de Rams qui dissimulait la complexité technique, mais elle répond à une demande contemporaine d'authenticité et de compréhension des objets technologiques qui nous entourent. Les ventes de Nothing dépassent le million d'unités en deux ans, suggérant que cette approche répond à un besoin réel d'une relation plus transparente et moins mystifiée avec la technologie.

L'inclusion comme impératif éthique du design contemporain

L'angle mort le plus significatif des principes de Rams concerne l'accessibilité et l'inclusion, ses designs présupposant implicitement un utilisateur standard doté de capacités physiques et cognitives normatives qui excluent de facto une portion importante de la population. Microsoft révolutionne cette approche avec le Xbox Adaptive Controller lancé en 2018, un dispositif qui privilégie radicalement la fonction inclusive sur l'esthétique minimaliste conventionnelle, permettant à des millions de joueurs en situation de handicap d'accéder aux jeux vidéo avec une ergonomie adaptée à leurs besoins spécifiques. Ce produit, qui pourrait sembler "laid" selon les critères esthétiques stricts de Rams, incarne pourtant profondément les principes d'utilité et d'honnêteté en reconnaissant et en servant des besoins longtemps ignorés par le design mainstream.

Cette évolution pose la question cruciale de l'ajout potentiel d'un onzième principe explicitement dédié à l'inclusion, ou si celle-ci était déjà implicitement contenue dans les notions d'utilité et d'honnêteté originales. La réponse penche probablement vers une réinterprétation expansive des principes existants plutôt que leur augmentation, reconnaissant que l'utilité véritable ne peut être évaluée qu'en considérant la diversité complète des utilisateurs potentiels, et que l'honnêteté implique de reconnaître et de servir cette diversité plutôt que de la nier par omission.

2024 : La pertinence renouvelée des principes fondamentaux

Les invariants qui traversent les mutations technologiques

Malgré les transformations radicales du paysage technologique et créatif, certains principes de Rams démontrent une résilience remarquable qui confirme leur caractère fondamental plutôt que conjoncturel. L'innovation reste le moteur principal du design contemporain, comme en témoignent les Vision Pro d'Apple qui explorent de nouveaux paradigmes d'interaction spatiale, ou les interfaces conversationnelles de ChatGPT qui redéfinissent notre rapport à l'information et à la création. L'utilité demeure centrale, le succès phénoménal de Notion avec ses 30 millions d'utilisateurs actifs prouvant que les outils qui résolvent véritablement des problèmes complexes trouvent naturellement leur public malgré une concurrence féroce.

La précision obsessionnelle que Rams appliquait aux détails physiques se transpose aujourd'hui dans l'attention méticuleuse portée aux micro-interactions, ces animations subtiles et ces feedbacks sensoriels qui transforment une interface fonctionnelle en expérience délicieuse. Spotify Wrapped 2023 génère 156 millions de partages spontanés précisément parce que chaque détail de l'expérience a été calibré pour créer un moment de révélation personnelle et de célébration collective, démontrant que la précision du design peut créer des phénomènes culturels massifs quand elle est appliquée avec intelligence et sensibilité.

Les mutations nécessaires face aux urgences contemporaines

L'urgence climatique impose une refonte radicale de la hiérarchie des principes, plaçant la responsabilité environnementale non plus en neuvième position mais comme condition première et non négociable de tout acte de design. Le design circulaire émerge comme nouveau paradigme, illustré par des initiatives comme celle de Patagonia qui conçoit des vêtements explicitement destinés à être réparés, transformés et transmis plutôt que remplacés, ou par l'architecture modulaire du Framework Laptop qui permet le remplacement individuel de chaque composant. Ces approches redéfinissent la durabilité non plus comme une qualité statique mais comme une capacité dynamique d'adaptation et d'évolution qui prolonge la pertinence fonctionnelle et émotionnelle des objets dans le temps.

La notion même de durabilité se complexifie dans le domaine numérique où la pérennité physique devient moins pertinente que la durabilité conceptuelle et systémique. Les design systems comme Material Design de Google, qui structure l'apparence et le comportement de milliers d'applications depuis 2014, représentent une forme nouvelle de durabilité où les principes et les patterns persistent et évoluent tandis que leurs manifestations concrètes se renouvellent constamment. Cette durabilité abstraite mais opérationnelle suggère que l'héritage de Rams ne réside pas dans la préservation littérale de ses principes mais dans leur capacité à inspirer de nouvelles formes de permanence adaptées aux réalités contemporaines.

Vers une nouvelle grammaire du design augmenté

L'intelligence artificielle comme catalyseur de transformation

L'émergence fulgurante de l'IA générative en 2023 avec ChatGPT, Midjourney et Claude représente possiblement la disruption la plus fondamentale que le design ait connue depuis l'invention de l'ordinateur personnel, remettant en question les notions mêmes d'auteur, de processus créatif et de singularité esthétique. Quand une intelligence artificielle peut générer des milliers de variations design en quelques secondes, adapter instantanément une interface aux préférences individuelles de chaque utilisateur, ou créer des expériences personnalisées à une échelle industrielle, que devient la notion de "bon design" et qui en devient le garant ? Cette question vertigineuse divise les praticiens entre ceux qui y voient l'obsolescence des principes humanistes de Rams et ceux qui considèrent l'IA comme l'accomplissement ultime de ses idéaux d'adaptation parfaite aux besoins utilisateurs.

La réalité émergente suggère une voie médiane où l'IA devient un outil d'augmentation plutôt que de remplacement, amplifiant la capacité des designers à explorer des espaces de solution plus vastes tout en préservant le jugement humain comme arbitre final de la pertinence et de la valeur. Les principes de Rams retrouvent alors une nouvelle actualité comme garde-fous éthiques et esthétiques dans un océan de possibilités génératives infinies, rappelant que la multiplication des options ne dispense pas de la nécessité du choix, et que ce choix reste fondamentalement humain dans ses critères et ses finalités.

Le retour paradoxal aux questions fondamentales

L'automatisation croissante et la complexification exponentielle des systèmes techniques provoquent paradoxalement un retour aux questions les plus élémentaires que Rams posait déjà en 1970 : pourquoi créer cet objet, pour qui, dans quel but, avec quelles conséquences ? Les studios qui excellent aujourd'hui comme Pentagram, IDEO ou Work & Co ne se distinguent pas par leur maîtrise technique, largement démocratisée, mais par leur capacité à articuler une vision claire du rôle du design dans la construction d'un futur désirable et soutenable. Ils comprennent que l'héritage de Rams ne réside pas dans l'application dogmatique de ses dix principes mais dans la démarche réflexive qui les a engendrés : questionner inlassablement, synthétiser rigoureusement, appliquer consciencieusement, puis recommencer avec humilité.

Cette approche itérative et critique devient d'autant plus cruciale que les enjeux du design dépassent largement les considérations esthétiques ou fonctionnelles pour toucher aux questions fondamentales de justice sociale, de soutenabilité écologique et de dignité humaine. Le "bon design" aujourd'hui ne peut plus se contenter d'être beau et utile ; il doit être régénératif plutôt qu'extractif, inclusif plutôt qu'exclusif, émancipateur plutôt qu'aliénant. Ces exigences ne contredisent pas les principes de Rams mais les prolongent et les approfondissent dans des directions qu'il avait peut-être pressenties sans pouvoir pleinement les articuler.

L'héritage vivant d'une philosophie en perpétuelle réinvention

Dieter Rams, aujourd'hui âgé de 92 ans, continue d'observer depuis sa maison de Kronberg l'évolution du design contemporain avec un mélange de satisfaction et d'inquiétude, reconnaissant dans l'iPhone "du bon design, mais trop compliqué", une appréciation qui capture parfaitement l'ambivalence de son héritage. Jony Ive, après avoir quitté Apple en 2019 pour fonder LoveFrom, poursuit dans le secret de son nouveau studio une exploration qui semble vouloir réconcilier la simplicité radicale de Rams avec les possibilités vertigineuses des technologies émergentes. Entre ces deux figures tutélaires, des milliers de designers à travers le monde réinterprètent quotidiennement les principes fondateurs, les adaptant, les contestant, les réinventant pour répondre aux défis spécifiques de leur contexte et de leur époque.

La vitalité de cet héritage ne réside pas dans la répétition mécanique de formules établies mais dans la perpétuelle réactualisation d'une exigence éthique et esthétique qui place l'humain au centre de toute démarche créative. Le bon design aujourd'hui n'est plus celui qui applique aveuglément dix principes édictés il y a cinquante ans, mais celui qui comprend l'esprit qui les a inspirés et trouve le courage de les réinventer pour servir les besoins et les aspirations de notre époque. Cette réinvention permanente, respectueuse mais non servile, constitue peut-être le plus bel hommage que nous puissions rendre à Dieter Rams : non pas figer sa pensée dans le marbre mais la maintenir vivante en la confrontant sans cesse aux réalités changeantes de notre monde.

"Less, but better" reste un horizon pertinent, mais la définition de ce "better" se reconstruit chaque jour dans les studios, les laboratoires et les ateliers où des créateurs tentent de donner forme à un futur qui soit à la fois technologiquement avancé et profondément humain. C'est dans cette tension créatrice entre permanence et changement, entre principes et pratiques, entre idéal et réel, que se joue l'avenir du design et, peut-être, une part significative de notre avenir collectif.

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